Programme spécial

Bourses de l'Académie pour la relève

ANTHONY COVENEY

Généralement, on a tendance à penser que plus on vieillit, plus on se rapproche de la sagesse; ainsi, le premier réflexe de quelqu’un comme moi qui se voit offrir une bourse pour effectuer un stage avec un.e professionnel.le du cinéma, c’est de choisir une personne qui a du métier derrière la cravate; or, ça n’a pas du tout été mon approche lorsqu’est venu le temps de choisir mon ou ma mentor. Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années, comme écrivait Corneille. 

J’ai donc jeté mon dévolu sur un réalisateur plus jeune que moi, Étienne Galloy. Je venais de travailler comme accessoiriste sur son film La Marina et j’avais trouvé qu’il avait été rien de moins que re-mar-qua-ble. Malgré son jeune âge, Étienne est un gars hyper tight, qui sait comment encadrer une équipe et qui a une manière très personnelle de transmettre son cinéma. Ça y est, il va maintenant s’enfler la tête après m’avoir lu chanter ses louanges… Bref, je sentais que j’avais besoin de m’associer à quelqu’un qui avait la fougue de la jeunesse, qui a des flammes dans les yeux, dont la passion est encore très vive — quelque chose qui se perd parfois avec l’expérience, ai-je remarqué. Et dans le cas d’Étienne, il a le background cinématographique pour venir backer sa fougue, ce qui fait qu’il peut créer des maudits bons films.

Le projet du stage, c’était de travailler ensemble sur mon scénario, mais on a fini par se poser une foule de questions en parallèle. Genre : pourquoi s’imposer tout ce stress et cette angoisse quand on fait du cinéma? Pourquoi vouloir à tout prix performer accoté? Pourquoi se faire chier autant à raconter une histoire? C’est l’une des choses fondamentales que j’ai apprises en observant Étienne et en discutant avec lui : il faut que ce travail se fasse dans la joie — et cette joie de créer du cinéma se doit d’être transmise à toute l’équipe, parce qu’au final, c’est toooooout le film qui va en bénéficier. Juste ça, ça a fait de moi un meilleur réalisateur aujourd’hui. 

 

Crédit photo : François Couture

Mais attends, j’ai pas fini! Étienne m’a aussi appris l’importance, que dis-je : la nécessité de prendre le temps de développer une complicité avec les acteurs de ton film. En t’immisçant dans leur univers, tu apprends à les connaître beaucoup mieux, tu vas pouvoir soutirer le meilleur d’eux, et ils apprennent de leur côté à te faire confiance. Et avec cette confiance vient l’abandon. Résultat : les scènes sont bien meilleures! Ils vont interpréter une plus grande palettes d’émotions car ils sentent l’absence de barrières entre eux et toi; ça devient un travail d’égal à égal. On trippe ensemble.  

J’ai pas encore tout à fait fini : ce stage, ça a été un peu comme une fenêtre VIP sur l’univers du créateur qu’est Étienne. Et ça, ça n’a pas de prix. En plus de tout le travail plus formel, où pendant trois mois Étienne m’a appuyé dans ma démarche artistique et l’écriture de mon scénario, on a passé des heures à discuter de cinéma ou de la vie (souvent avec de l’alcool, je dois l’avouer). Bref, c’était pas un stage, finalement : c’était juste deux tripeux qui tissaient des liens d’amitié.

O.K. Là, j’ai fini.

Une fois le scénario écrit, j’ai demandé une bourse pour sa réalisation — et je l’ai eue! Puis la Covid est arrivée… ce qui fait que tout le projet a été reporté d’un année. C’est certain qu’au début, je capotais un peu; sauf qu’à un moment donné, je me suis rendu compte d’une chose : la patience, ça paie. Le report m’a donc permis de mieux développer mon film. J’ai pu rectifier le scénario et la mise en scène, j’ai fait un meilleur découpage et trouvé de meilleurs lieux de tournage. J’ai refermé des portes qui n’auraient pas dû être ouvertes. Tu sais, quand on commence jeune dans ce métier-là, on est souvent victime de notre spontanéité; résultat : on se casse la gueule. Et je me suis souvent cassé la gueule. Par contre, à force de me tromper, je me suis fait les dents. Au début, je voulais faire comme Xavier Dolan et jouer dans les films que je réalisais et produisais. Hey, non seulement je ne suis pas un bon acteur, mais en plus j’avais la tête complètement éparpillée, ce qui fait que mes premiers films sont plein de trous. Mais c’est correct : j’ai appris. C’est à ça que servent les premiers films. Aujourd’hui, je cherche simplement à être le plus vrai avec mon équipe, mes sujets et mes histoires. Et je sais que je ne suis en fait qu’un caméléon dans un univers d’artistes.  

Anthony Coveney est un réalisateur originaire de Longueuil sur la Rive-Sud de Montréal. Il étudie le cinéma à l'UQAM de 2016 à 2019 et tourne de nombreux clips musicaux durant cette période. Il est l'auteur de plusieurs courts métrages qui se sont distingués sur le circuit des festivals dont Fuck Les Gars, UZEMI et Qui part à la chasse. Il siège sur le jury du prix étudiant au RIDM en 2016 et sur le jury Émile-Cantillon au Festival International du Film francophone de Namur en 2019.