Depuis juin 2022, Jean-François est le directeur du marketing et des communications du Bureau de l'écran autochtone. Il évoque ici son précédent rôle de gestionnaire de la programmation.
Adolescent, à titre de membre d’une Première Nation, je ne me reconnaissais pas vraiment dans les réalités peintes par la télé québécoise et canadienne. On y parlait très rarement de peuples autochtones et lorsque c’était le cas, nous étions représentés de façon très négative, que ce soit dans la fiction ou dans les actualités quotidiennes. Ce n’était pas ma télé, disons. Je me souviens encore de cette soirée de septembre 1990 où Radio-Canada a interrompu la diffusion des Filles de Caleb pour présenter un bulletin spécial sur la fin de la Crise d’Oka; quel événement ce fut! C’était heureusement la fin d’une période très sombre pour nous.
Depuis toujours, j’aime me faire raconter des histoires; je suis allé travailler au Musée canadien des civilisations précisément parce que c’est un endroit rempli d’objets racontant des histoires. Et lorsque l’occasion s’est présentée à moi de travailler pour APTN, un diffuseur d’histoires issues des premiers peuples, en 2010, j’ai sauté à pieds joints sur l’occasion! Lorsque j'étais gestionnaire de la programmation de la région de l’Est, j’ai eu la chance de contribuer à ce que les autochtones puissent se reconnaître, au quotidien, dans les histoires qu’on leur présente, depuis plus de dix ans maintenant.
Pour ce faire, je gérais ce que j’appelle une vaste et très active communauté de production autochtone, à la fois anglophone et francophone. J'étais un peu comme un chef d’orchestre, appelé à effectuer plusieurs tâches : tenir des réunions (sur Zoom depuis un an!), accueillir des pitchs, évaluer des projets et les proposer à mon tour à l’équipe d’APTN, lire des scénarios — dramatiques, documentaires, jeunesse, etc. —, contacter d’autres diffuseurs, créer des partenariats, être à l’affût de ce qui se passe dans nos communautés et des dernières tendances télévisuelles, définir des stratégies, etc. Bref, un touche-à-tout, dont le mandat était de faire rayonner le talent autochtone aux quatre coins du Canada, dans le respect des peuples, des communautés et des personnes qui sont à l’écran et devant leur écran.
J’accordais une importance particulière à notre programmation pour enfants, étant moi-même un grand fan d’émissions jeunesse et surtout parce-que je sais que celles-ci permettent de transmettre nos valeurs et nos langues de façon ludique. Enfant, je voulais tellement faire partie des histoires que je regardais avec mes grands-parents! Mais il n’y avait pas de personnage autochtone dans Passe-Partout… Cette absence a un énorme impact sur la psyché d’un enfant : ne pas se voir, c’est en quelque sorte ne pas exister…
Or, APTN présente des émissions dans une quinzaine de langues, ce qui contribue à les maintenir bien vivantes, certes, mais aussi à nourrir la fierté des peuples qui les parlent. La fierté d’être Abénakis, ça n’existait tout simplement pas en moi, à ma naissance; je baignais dans une culture dominante qui, dans le fond, était peu intéressée par mon destin d’autochtone. Vous dire les âneries que j’entendais dans les cours d’histoire, à l’école… C’est pour cette raison que j’avais le sentiment de faire œuvre utile chez APTN : si par exemple j’encourageais une jeune animatrice à parler l’inuktitut à l’écran, plutôt que l’anglais de nombreuses personnes, chez elles, allaient bénéficier. Cette animatrice porterait en elle une partie du patrimoine et de l’histoire de son peuple, et il était important de la célébrer.
La télévision est un médium puissant, dont plusieurs ont prédit la disparition; cependant, je crois qu’elle a un bel avenir devant elle. Elle est simplement en transformation. Elle est encore fort utile aujourd’hui, en tout cas, on l’a vu par exemple avec les points de presse du premier ministre du Québec. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ représentent un beau défi pour les gestionnaires de programmation, mais le travail se fait dans la qualité et non dans la quantité, et c’est ce qui, ultimement, va leur permettre de continuer à se démarquer.
Membre de la Première Nation abénakise d’Odanak, Jean-François D. O’Bomsawin détient un baccalauréat en communications de l’Université d’Ottawa. Pendant cinq ans, il a travaillé au Musée canadien des civilisations à la gestion d’un programme de formation à l’intention des Autochtones. Il a débuté chez APTN en 2010 comme coordonnateur des communications pour le département de marketing puis, en 2012, il s’est joint au service de la programmation comme gestionnaire de la programmation de la région de l’Est. En juillet 2016, il a occupé le poste de gestionnaire sénior de la programmation pour un mandat d’un an, et il a repris ce poste le 13 janvier 2020. Depuis 2022, il est directeur du marketing et des communications au Bureau de l'écran autochtone.